RENCONTRE -   Yvonne Nicoullaud, ancienne infirmière pilote secouriste
 
 
 

Cent ans de liberté

 
 
Cette Femme de caractère a placé sa vie sous le signe de la liberté.
Elle a fait la fête avec Saint-Exupéry et reçu la bénédiction du pape Pie XII.
 
 
 
 
 
Son appartement baigné de soleil domine le centre de Pau. Au loin brillent les Pyrénées. Telle est la retraite d'Yvonne Nicoullaud. Seul son état civil trahit son âge : elle est née le 14 septembre 1908. «Jamais je n'aurais voulu être centenaire: c est une vie trop inactive, trop monotone», lâche-t-elle. «je préfère bourlinguer. Mon truc, c est d'être libre »
 
Un leitmotiv qui a guidé la vie de cette femme au caractère bien trempé, qui a toujours combattu pour son indépendance: « Par choix, je suis restée célibataire et je n'ai pas eu d'enfant »
 
 
«Yvonne de la Gainfolle»
 
Yvonne grandit à la Gainfolle, la propriété familiale, sur la commune de Brux, à trente kilomètres au sud de Poiriers. La fratrie compte six enfants ; elle est la dernière fille. Le siècle vient de naître, il n'y a pas de bus scolaire. «j'allais à l'école des filles à pied. Trois kilomètres le matin, autant le soir. » Elle a six ans quand éclate la guerre: « En classe, on tricotait pour les Poilus; on faisait de la charpie des vieux draps pour en faire des compresses. » La fillette est déjà une forte tête, « pas du tout disciplinée » et « têtue comme un mulet du Poitou. » A 12 ou 13 ans, « Yvonne de la Gainfolle » (ainsi baptisée par ses camarades.. .) part donc en pension: «Je suis restée deux ans cher les religieuses... Je n'y ai pas appris grand chose ! »
C'est une adolescente qui revient au village, dans cette grande maison de maître où son père, maire de la commune, multiplie les réceptions. « Mais ce n'était pas mon style. » Dix années passent ainsi. «Jétais un peu la fille perdue de la maison... On m'apprenait à broder, à tricoter. Mes parents me préparaient à être une épouse modèle alors qu 'au fond de moi j'étais une aventurière »
 
 

« Un jour, j'ai tout plaqué»

 
A vingt-cinq ans, Yvonne plaque la Gainfolle: « Un jour, je suis allée chercher tout mon argent à la Caisse d'épargne et j'ai mis au sud, vers Hendaye. Au nid marin, un préventorium. Là, j'ai fait la connaissance d'une infirmière qui m 'a dit que l'hôpital d'Issoire, dans le Puy-de-Dôme, cherchait un économe Je n'avais absolument aucun diplôme d'État. J'ai cependant tenté ma chance. »
 
Ce sera le vrai début d'une vie aventureuse. Yvonne Nicoullaud monte à Paris, à l'hôpital Rothschild, pour suivre sa formation. La guerre arrive, l'école d'infirmières ferme. Yvonne retourne à Issoire. C'est la baronne de Rothschild elle-même qui lui offre sa seconde année d'études à l'école Chaptal. Retour à Paris, donc. Mais bientôt les Allemands occupent le bâtiment. Yvonne refait ses valises, et retrouve ses terres poitevines : elle est mutée par la Croix Rouge à l'hôpital militaire de Poitiers.
 
«C'est là que j'ai fait la connaissance de Mme Berthier de Sauvigny et découvert les Ipsa, les infirmières pilotes secouristes de l'air. On recrutait des volontaires pour créer des services sociaux; sur les bases françaises d'Afrique du Nord »: Yvonne fait un détour par Paris pour décrocher enfin son diplôme d'État, passe la ligne de démarcation et embarque à Marseille. « Je me souviendrai toujours de mon arrivée, au matin, dansla baie d'Alger. J'ai encore cette vision... »
 
 
Capitaine dans l'Armée de l'Air
 
Yvonne Nicoullaud est affectée à la 5e région aérienne. Son poste est à Tunis, base El Aouina. « J'ai découvert réellement l'Afrique du Nord dans le train entre Alger et Tunis. A mon arrivée, j'ai été accueillie au Tunisia Palace. Dévorée par les punaises toute la nuit et dînant au milieu des mouches du restaurant... »
Sur la base, les « filles » ont leur pavillon: « Nous étions toutes célibataires: pas d'enfants, ni de mari à traîner Totalement libres, donc. » L'infirmerie sert un peu à tout. Au milieu trône un réchaud primus où de l'eau bout en permanence. « Toutes mes théories sanitaires se sont alors écroulées... »
 
La base française est mobilisée dans l'attente des avions allemands. « Ils sont arrivés un dimanche: le soir, la base était couverte de planeurs. Les avions français étaient partis à Alger »
 
Yvonne réussit à placer les familles des pilotes français dans les environs, chez les colons. Tous les jours, elle récupère tout ce qu'elle peut sur la base pour le faire passer à ces femmes, à ces enfants. Elle crée très vite une coopérative: « Il le fallait bien, car nous manquions de tout »
 
 
La bénédiction de Pie XII
 
Un an après, Tunis est libérée. Les aviateurs retrouvent leurs familles. Des retrouvailles scellées par un drame : l'avion des pilotes s'écrase sur la ville. C'est Yvonne qui doit annoncer la nouvelle aux épouses. Bientôt, la jeune femme, capitaine dans l'Armée de l'Air, est mutée en Corse, où elle retrouve une grande partie de ses amis de la base d'EI Aouina. « Dans l'Armée de l'Air, nous nous retrouvions le soir au bar Napoléon, à Ajaccio, en compagnie des pilotes qui rentraient de mission. Nous buvions des alexandras. C'est vrai, j'aimais beaucoup sortir... »
 
Là encore, elle créé des foyers. Elle fait le va-et-vient avec la Tunisie et bientôt l'Italie libérée pour le ravitaillement. C'est lors d'une mission à Rome qu'elle se retrouve face au pape Pie XII, à Saint- Pierre: « J'étais en uniforme. Il est venu vers moi. Il m'a donné sa bénédiction. Une bénédiction  spéciale, pour ma famille et pour moi-même:  peut-être est-ce pour cela que je suis centenaire », note Yvonne avec un sourire malicieux.
 
 
L'aventurière range l'uniforme
 
Le capitaine Nicoullaud est en Corse quand Paris est libérée. La jeune femme repartira en Afrique du Nord, en Tunisie, au Maroc. Les hommes de la 2e DB la croiseront en Allemagne, en 1945. Yvonne Nicoullaud sera décorée de la Croix de Guerre.
 
La paix retrouvée, elle s'installe à Rabat. Elle connaît bien le directeur de la banque d'État du Maroc, qui lui propose de créer un service social. Yvonne n'a pas encore 40 ans. Elle range son uniforme et s'engage à fond dans cette nouvelle mission, qui durera 18ans. « C'était dans l'ensemble une vie facile, au soleil avec la piscine tous les midis... »
 
En 1965, le temps des aventures est révolu. Yvonne Nicoullaud rentre en métropole. Et choisit alors de s'installer à Pau: « Je connaissais la ville Car des amis avaient acheté une chartreuse sur les coteaux. Je suis entrée au Crédit agricole, rue Carnot. Mon directeur était un ancien de la Banque d'État du Maroc. J'ai retrouvé ici des gens d'Afrique du Nord. Mais cela a été dur de s'intégrer. » En Béarn, l'enfant du Poitou découvre la montagne. Elle s'investit dans la vie associative : amitiés franco-italiennes, Amis du château de Pau, marcheurs, skieurs..
 
Aujourd'hui, Yvonne Nicoullaud a rangé skis et chaussures de marche. Mais elle descend toutes les semaines chez son coiffeur, et de temps en temps au salon de thé tout proche « pour discuter avec les amies » Elle prépare aussi la soupe de son voisin. Et continue de fêter son centenaire avec ses amis: « J'ai toujours aimé le champagne ! Il n'y a pas de raison que cela change... »
 
Bruno Robaly                                   
 
 
 
LA DERNIÈRE NUIT AVEC SAINT-EXUPÉRY
 
Bastia, juillet 1944. Sur la base située à quelques kilomètres de la capitale de la Haute Corse, il y a un pilote connu: Antoine de Saint-Exupéry. «Il était un peu farfelu, il avait bousillé des avions», se souvient Yvonne Nicollaud. «Dans la voiture, il avait toujours son bloc et son crayon, même quand il allait embarquer. Il avait du charme, il faisait des tours de cartes extraordinaires. La veille de sa dernière mission, nous étions toute une bande réunie pour la soirée.»
 
Yvonne est ainsi vraisemblablement la dernière femme qu'a vue Antoine de Saint-Exupéry avant d'embarquer dans son Lightning P38, à 8h45, le 31 juillet 1944. Il ne reviendra jamais de cette mission.